L’élite mondiale du cyclisme a connu l’été dernier une petite révolution avec la première édition du Tour de France Femmes avec Zwift, qui est immédiatement devenu l’échéance structurante de la saison. Alors que l’horizon de la deuxième édition se profile, six coureuses témoignent de leur expérience de juillet dernier.
MOOLMAN PASIO : « LES CYCLISTES FÉMININES DEVIENNENT DES NOMS CONNUS »
En tant que cycliste, Ashleigh Moolman Pasio a toujours été inspirée par le Tour de France. « Alberto Contador est le coureur auquel je m’identifiais le plus », explique la septuple championne continentale d'Afrique qui se projette avec envie et ambitions vers l'étape reine du Tour de France Femmes avec Zwift 2023 sur les pentes menant au col du Tourmalet. Désormais leader d'AG Insurance - Soudal Quick-Step, la star africaine, qui vient de signer un nouveau contrat pour l'année prochaine, est de retour pour « finir le travail » après avoir été contrainte à l’abandon par un virus lors de la première édition de l'événement dont elle avait rêvé toute sa carrière.
Née le 9 décembre 1985 à Pretoria (Gauteng, Afrique du Sud)
Équipes professionnelles : Lotto Ladies (2010-2013), Hitec Products (2014), Cervélo-Bigla (2015-2018), CCC Liv (2019-2020), Team SD Worx (2021-2022), AG Insurance - Soudal Quick-Step (2023-2024);
Principaux résultats
- 2011 : Championne d'Afrique (course en ligne)
- 2012 : Championne d'Afrique (course en ligne et c.l.m.), championne d'Afrique du Sud (course en ligne)
- 2013 : Championne d'Afrique (course en ligne et c.l.m.), championne d'Afrique du Sud (course en ligne et c.l.m.), 1ère Holland Hills Classic
- 2014 : Championne d'Afrique du Sud (course en ligne + c.l.m.)
- 2015 : Championne d'Afrique (course en ligne, c.l.m. et c.l.m. par équipe), championne d'Afrique du Sud (course en ligne et c.l.m.), 1ère 94.7 Cycle Challenge, 1ère Auensteiner-Radsporttage
- 2016 : 1ère Auensteiner-Radsporttage, 1re Giro della Toscana
- 2017 : Championne d'Afrique du Sud (c.l.m.), 1re Emakumeen Euskal Bira, 1re Giro della Toscana, 1re La Classique Morbihan, 1ère GP de Plumelec, 1ère 94.7 Cycle Challenge
- 2018 : 1ère La Classique Morbihan, 1ère GP de Plumelec, 2e Giro Donne, 2e La Flèche Wallonne Femmes, 3e La Course by Le Tour de France
- 2019 : Championne d'Afrique du Sud (course en ligne), 1ère Jeux Africains (c.l.m.), 1ère Emakumeen Nafarroako Klasikoa, 1re Taiwan KOM Challenge
- 2020 : Championne du monde esports, championne d’Afrique du Sud (course en ligne et c.l.m.)
- 2021 : 2e Giro Rosa
- 2022 : 1ère Tour de Romandie, 3e Strade Bianche
- 2023 : 1ère Durango - Durango, 3e Vuelta à Burgos
Vous avez effectué une bonne partie de votre préparation pour le Tour de France Femmes avec Zwift 2023 dans les Pyrénées, où la course se terminera. Quel était votre plan ?
Je me suis entraînée en altitude à Font-Romeu, dans la station de ski Pyrénées 2000. Beaucoup de cyclistes vont en Andorre mais je préfère cet endroit car j'ai l'impression que 1800 mètres est l'altitude parfaite pour moi et j’ai mes habitudes ici. Cet endroit m’apporte le juste équilibre entre l'adaptation à l'altitude et une récupération suffisante pour pouvoir m'entraîner à haute intensité. Et c'est vraiment beau. J'adore les Pyrénées et les montées ici me rappellent le Tourmalet. J'ai fait une reconnaissance et je pense que ça va être une étape reine vraiment excitante. On fait d’abord le col d'Aspin, qui devient assez raide sur les 3 derniers kilomètres. Cela pourrait déjà être un moment fort de l'étape. Puis on descend et tout de suite après on monte le Tourmalet. J'aime beaucoup, c'est joli, raide, la pente est significative. Le jour où je l'ai fait, nous avons grimpé dans les nuages, donc on avait vraiment l’impression d’être dans un autre monde.
Qu'avez-vous appris de l'édition de l'année dernière ?
J’ai vécu des montagnes russes. Tout au long de ma carrière, j'ai attendu ce moment et je me suis battue pour ce moment. Voir enfin l'élan généré par A.S.O. et Zwift était aussi très spécial car je suis l'une des rares à avoir vraiment adopté Zwift. J'ai été la première championne du monde esport UCI et j'avais l'impression qu’il était écrit que je devais être sur le podium du premier Tour de France Femmes avec Zwift... Peut-être que c’était un peu trop de pression. Et il y avait des maladies qui circulaient. Annemiek [van Vleuten] a eu un problème d'estomac au début et malheureusement je l'ai eu la veille de l'étape reine. Et même si mon esprit était à 100% engagé pour continuer à courir pour le podium, mon corps m'a laissé tomber et ce fut probablement l'un des jours les plus difficiles sur le vélo parce que mon esprit n'arrêtait pas de se battre - « tu peux le faire, tu peux le faire » - mais mon corps ne faisait pas ce que je voulais qu'il fasse. Je me suis sentie très seule ce jour-là, je ne comprenais pas ce qui se passait. Se retirer sur l’étape reine a été très difficile. J'avais fait tellement d'efforts, j'étais au mieux de ma forme... C'était tellement injuste. Mais en tant que cyclistes, nous devons très vite apprendre à accepter car il y a beaucoup de choses qui échappent à notre contrôle. J'ai dû accepter que ce n’était pas mon Tour.
Comment avez-vous rebondi ?
Être très active sur Zwift et avoir une communauté, le collectif Rocacorba, m'a aidé à surmonter cette déception. J'ai reçu tellement de messages des membres de ma communauté, je les ai rejointes pour des sorties sur Zwift, et elles n'arrêtaient pas de me rappeler que j'étais toujours leur reine de la montagne et leur leader, peu importe que j’ai terminé le Tour Femmes ou pas. C'est ce qui m'a vraiment aidée à digérer la déception et ensuite à finir l'année en remportant le Tour de Romandie, ce qui m'a encore une fois rappelé que je suis capable de gagner au sommet d’une montée contre les meilleures coureuses du monde. Cela m'a bien sûr motivé à me préparer pour le Tour de France Femmes avec Zwift. C'est vraiment mon plus grand objectif cette année. J'ai l'impression que j’ai un travail à finir.
Vous vous présentez avec une nouvelle équipe, AG Insurance - Soudal Quick-Step. Qu'est-ce que ça change pour vous ?
Je pense que c'était aussi une très bonne décision pour moi, l'environnement me convient un peu mieux. Il y a plus une ambiance d'équipe, il s'agit de s'entraider, il s'agit de développer la jeune génération, ce qui m'inspire et me motive vraiment. J'ai aussi beaucoup de foi et de confiance dans les directeurs. Nous avons Servais Knaven, qui a beaucoup d'expérience avec l'équipe Sky et Ineos depuis de nombreuses années. C'est une équipe qui a vraiment montré comment gagner le Tour de France et il apporte cette expérience et ces connaissances. Et puis bien sûr Jolien D'hoore est une incroyable directrice sportive, et j'aime beaucoup travailler avec elle. Toute l'équipe se prépare à donner le meilleur d'elle-même pour me soutenir, pour être sur le podium, ce qui est un peu différent. Cela me convient mieux car cela donne de la clarté. Quand je roulais avec SD Worx, c'était une course dans la course, nous courions l’une contre l’autre. Je me sens vraiment détendue dans cet environnement. La façon dont nous avons couru à Valence [Justine Ghekiere et Moolman ont terminé 1ère et 2e] pour commencer la saison a été un excellent exemple de notre unité et de la façon dont nous pouvons nous rassembler pour obtenir le meilleur résultat ensemble.
Vous avez pris le meilleur sur Annemiek van Vleuten en Romandie et à Valence. Et vous connaissez parfaitement SD Worx. Pouvez-vous les renverser ?
Bien sûr c'est le but. Mais nous devrons avancer au jour le jour, pour voir comment cela se met en place. Elles sont aussi très motivées pour gagner. J'ai une idée en tête de comment je peux les renverser, je me prépare pour ça. Je crois que je peux le faire. C'est le plus important, croire que vous pouvez y arriver et faire de votre mieux. Que vous gagniez ou perdiez, au moins vous savez que vous avez tout fait. C'est mon objectif mais je ne peux pas dévoiler mes secrets !
Vous pensiez prendre votre retraite fin 2022 et maintenant vous prolongez d'un an votre contrat avec AG Insurance - Soudal Quick-Step. Quel rôle le Tour a-t-il joué dans cette décision ?
Avec le grand impact qu’il a eu, bien sûr, cela a apporté beaucoup de motivation. Ça a influencé l'économie du cyclisme féminin. Nous avons beaucoup plus d'exposition, beaucoup plus d'attention. Je le vois tous les jours, surtout à Gérone avec beaucoup de fans de cyclisme. Je vois plus que jamais que les gens reconnaissent qui je suis, ce qui n'était pas forcément le cas avant, quand on n'avait pas autant d'exposition télé à travers une course comme le Tour de France. Les choses ont vraiment changé, les cyclistes féminines deviennent désormais des noms connus. Plus d'équipes masculines sont motivées pour faire des équipes féminines comme nous le voyons avec Soudal Quick-Step. Les salaires sont plus élevés. Bien sûr, il y avait une raison économique pour continuer, mais plus que cela, je sentais que j'étais à mon meilleur niveau, voire que je m’améliore comme on l’a vu au Tour de Romandie, dans ce qui aurait dû être ma dernière course de ma dernière année en tant que cycliste professionnelle. Et je me suis aussi prouvé que j'étais capable de faire plus d'une chose. Je voulais m'impliquer davantage dans Rocacorba, avec les sorties à vélo, les affaires et la communauté. Et je pensais que je devais prendre ma retraite pour faire ça. Je me suis prouvé que j'étais capable de faire plus d'une chose, que j'avais la capacité mentale et la maturité.