Et le Tour change la vie (III/VI)

L’élite mondiale du cyclisme a connu l’été dernier une petite révolution avec la première édition du Tour de France Femmes avec Zwift, qui est immédiatement devenu l’échéance structurante de la saison. Alors que l’horizon de la deuxième édition se profile, six coureuses témoignent de leur expérience de juillet dernier.

Kasia Niewiadoma : « Je me sens beaucoup plus forte mentalement »
Avec 10 saisons professionnelles à son actif, Kasia Niewiadoma (Canyon//Sram Racing) est une championne bien établie qui a vécu les récentes évolutions et révolutions au plus haut niveau du cyclisme féminin, jusqu'à une première participation au Tour de France Femmes avec Zwift l'année dernière. La star polonaise a été à la hauteur de sa réputation puisqu'elle est montée sur le podium final (3e du classement général, victorieuse du classement par équipe avec Canyon//Sram) grâce à sa régularité aux avant-postes pendant une semaine de course intense… Mais la victoire lui a échappé, comme souvent ces dernières années. Le dernier triomphe de Niewiadoma remonte à une étape du Women's Tour 2019, deux mois après avoir remporté l'Amstel Gold Race alors qu'elle n'avait que 24 ans. Au fil des années, elle s'est imposée comme une puncheuse d'élite et s’est découvert de nouveaux talents pour affronter des ascensions plus longues dans les montagnes (françaises). Dans la lignée des progrès qu'elle constate depuis qu'elle a réorienté sa préparation en vue du Tour, elle veut renouer avec la victoire et elle rêve de le faire dans cette épreuve au prestige unique.

Katarzyna Niewiadoma (Canyon//Sram Racing)
Née le 29 septembre 1994 à Limanowa (Pologne)

Équipes successives

  • 2013-2017 : Rabobank-Liv Giant / WM3 Energie
  • 2018-aujourd’hui : Canyon//Sram Racing

Principaux résultats

  • 2014: Grand Prix Gippingen, 3e du Ladies Tour of Norway
  • 2015: Euskal Emakumeen Bira, championne d’Europe U23, meilleure jeune du Giro Donne 2016: championne de Pologne (course en ligne et contre-la-montre), championne d’Europe U23, meilleure jeune du Giro Donne, Giro del Trentino, Festival Elsy Jacobs, 2e des Strade Bianche
  • 2017: Women’s Tour, 2e des Strade Bianche, 3e de La Flèche Wallonne Femmes, de Liège-Bastogne-Liège Femmes et de l’Amstel Gold Race
  • 2018: Trofeo Alfredo Binda, Tour cycliste international de l’Ardèche, 2e des Strade Bianche Donne, 3e du Tour of California
  • 2019: Amstel Gold Race, 2e du Women’s Tour (1 victoire d’étape), 3e des Strade Bianche 2020: 2e du Giro Donne, 3e des championnats d’Europe
  • 2021: 2e de La Flèche Wallonne Femmes, 3e des championnats du monde
  • 2022: 3e du Tour de France Femmes avec Zwift, 3e du Women’s Tour
  • 2023: 3e de l’Itzulia Women

Signe particulier : Sur le bord de la route et à l'arrivée des étapes du Tour de France Femmes avec Zwift 2022, Kasia Niewiadoma a été acclamée par un fan particulier, son compagnon Taylor Phinney, double champion du monde sur piste. Le retraité américain lui trouve toujours de nouveaux surnoms : Skarbie, La Reina, Queenka, Queen Cappuccino…

Vous avez passé une semaine en France début juin dans le cadre de votre préparation au Tour de France Femmes avec Zwift 2023. Comment ce stage s’est-il passé ?
Nous avons reconnu les étapes 1, 2, 3, 4, et 7 et 8, nous avons donc une bonne connaissance du Tour en général maintenant. En fait, chaque jour est super difficile, ce qui est vraiment bon pour nous. Il est toujours difficile de prévoir comment la course va se dérouler mais être là, en France, pour voir personnellement les étapes, ça fait vraiment la différence. Maintenant qu’on a fait nos recos, nous avons quelques semaines pour adapter ce qui doit l’être au niveau de la préparation. J'ai été vraiment surprise par les premières étapes, elles sont plus dures que ce à quoi nous nous attendions. Et bien sûr, le Tourmalet est le Tourmalet !

C’était votre première fois sur le Tourmalet ?
Oui !

Qu'avez-vous pensé de l'ascension ?
Pour être honnête, j'ai déjà été surprise par le col d'Aspin. C'est une bonne montée et je pense que l'avoir avant le Tourmalet ajoutera de la fatigue supplémentaire et rendra le Tourmalet encore plus difficile. J'ai vraiment adoré cette montée. Je pouvais imaginer les fans qui nous encourageront sur le bord de la route. Et ça se termine dans un si bel endroit… Nous avons pu nous imprégner de la vue et profiter de l'ambiance montagnarde. Ce sera un combat avec soi-même, pour aller le plus loin possible dans ses retranchements, d'autant plus qu’on passe à plus de 2 000 mètres d'altitude. Ça va être un autre facteur qui rendra cette ascension difficile, avec de l'air raréfié.

« Ce serait juste incroyable de remporter une victoire dans une si grande course »

À quel point avez-vous changé en tant que coureuse pour vous préparer aux défis du Tour ?
Honnêtement, le parcours oblige à modifier son entraînement. Vous vous asseyez avec votre entraîneur pour fixer les objectifs et élaborer un plan sur la façon d’y arriver, sur comment rivaliser avec Demi (Vollering) ou Annemiek (van Vleuten). C'est la première étape. Et la deuxième étape repose sur mes épaules car le Tour demande d'être la plus légère possible, contrairement aux classiques par exemple. C’est un autre facteur sur lequel je me concentre également en ce moment. Il faut aussi passer plus de temps sur le vélo de contre-la-montre et travailler avec son entourage pour s'assurer que votre corps est capable d’aller à fond tous les jours. Il s’agit donc de se concentrer sur tous les petits détails qu’il vous arrive d’ignorer pendant la saison des classiques parce que vous voyagez tellement, vous passez d'un pays à l'autre et parfois vous n'avez pas le temps. Avoir quelques semaines où vous êtes avec les vôtres et vous travaillez pour atteindre votre meilleur niveau, c'est aussi très motivant parce que vous voyez les progrès au fil des semaines.

L'an dernier, cette préparation vous avait mené à un podium au classement général, ce qui était « un rêve devenu réalité ». Quels sont vos rêves pour le Tour de France Femmes avec Zwift 2023 ?
Gagner une étape, sans aucun doute ! Pendant les reconnaissances, j'ai essayé de voir quel jour pourrait être le mien. C'est très motivant et comme j'ai aimé être sur le podium du Tour de France l'an dernier, je pense qu’être la première à franchir la ligne d’arrivée, ou porter le Maillot Jaune, ça me motive à être super pro en ce moment. Cela fait un moment que j'ai gagné pour la dernière fois, donc je pense que ce serait juste quelque chose d'incroyable de remporter une victoire dans une si grande course.

« L'avant-dernière étape du Tour a été un énorme festival de souffrances pour tout le monde »

En repensant au Tour 2022, y a-t-il un moment qui vous a marqué plus que les autres ?
Je pense que je me souviendrai toujours de l’avant-dernière étape, celle du Petit Ballon puis du Grand Ballon. C'était une journée tellement difficile sur le vélo et la course s’est lancée dès le départ, à partir du kilomètre 0 en gros. C'était un énorme festival de souffrances, non seulement pour celles qui se battaient devant, mais aussi pour toutes les autres, pour survivre et finir dans les délai. J'ai l'impression que nous avons toutes souffert de la même manière et franchir la ligne d'arrivée devant m'a donné beaucoup de confiance pour la dernière étape du Tour. Je me sens beaucoup plus forte mentalement en sachant que je peux réellement terminer le Tour sur le podium.

Vous êtes également montée sur le podium avec vos partenaires de Canyon//Sram en tant que gagnantes du classement par équipe. Que savez-vous de la façon dont l'équipe sera constituée pour cette édition ?
Bien sûr, notre équipe est un peu différente de ce qu'elle était l'année dernière, certaines coureuses ont quitté l'équipe et d'autres nous ont rejointes. Mais l'équipe envoie à nouveau un groupe solide pour la montagne et une sprinteuse. Les deux qualités les plus importantes pour nous restent la capacité à grimper et à se placer. La sélection finale n'est pas encore confirmée, mais vous pouvez certainement vous attendre à avoir à nouveau Elise (Chabbey), moi-même et une belle équipe.

Vous avez vu le parcours, vous affrontez vos rivales au plus haut niveau de l'UCI Women's WorldTour… Comment voyez-vous la bataille pour le classement général se dessiner sur ce Tour ?
Je pense que Demi réalise une saison extraordinaire et elle voudra certainement poursuivre cette incroyable séquence de victoires jusqu'au Tour de France avec son équipe, car elles ont montré depuis le début de l’année à quel point elles sont puissantes. Mais c'est bien que le Tour de France se déroule plus tard dans la saison car nous savons quels sont leurs points forts et où nous en sommes. J'espère donc que mon équipe et que celle d'Annemiek, la Movistar, pourront leur rendre la tâche plus difficile. Et je pense que ça peut être intéressant d'avoir deux coureuses fortes qui se battent l'une contre l'autre, comme Demi et Annemiek, parce qu'elles peuvent oublier le reste de la course. J’y vois des opportunités d'aller chercher une victoire ou de prendre plus de temps. Cela peut fonctionner avec Elisa Longo Borghini ou Cecilie Uttrup Ludwig…

© A.S.O.